Être lucide, c’est basculer consciemment en préfrontal

Bonjour Olivier. Tu es un artiste, un coach, un chercheur passionné par l’humain et les neurosciences, un créateur de formations en ligne, un auteur et bien d’autres choses encore… Je te propose dans cet entretien d’imaginer que tu t’adresses à des leaders, des dirigeants sur le marché et de répondre à cette question : Que veut dire pour toi la lucidité ?

Le mot lucidité a pour origine le latin lucidus, qui signifie ‘clair’. La lucidité, c’est donc voir avec beaucoup de clarté une situation, une relation, un marché, une organisation…
Mais pour en percevoir tous les aspects, il y a un pas à franchir qui est de sortir de nos automatismes pour attiser notre curiosité, accepter ce qui se joue dans la situation et avoir une vision globale avec tous les tenants et aboutissants… Pour le dire autrement, c’est être présent à une situation et conscient de notre interaction avec cette situation.
Ce mouvement vers la présence pourrait sembler abstrait, mais les neurosciences nous permettent de comprendre qu’il s’agit d’activer la partie de notre cerveau qui est la plus intuitive, la plus créative et la plus sereine : le préfrontal.
Étant donné que le préfrontal reconstitue la réalité en temps réel, il n’est pas sujet au conditionnement que nous avons reçu depuis notre naissance et nous autorise une adaptabilité que le cerveau automatique refuse. Cette adaptabilité est d’autant plus forte que nous regardons une situation sans jugement ni préjugé…
On peut donc dire qu’être lucide, c’est basculer consciemment en préfrontal, prendre du recul sur soi, au présent, en toute conscience, dans une posture d’observateur de ce qui est, sans jugement…

Est-il possible d’être sans jugement dans notre quotidien, de ne plus évaluer, de ne plus donner notre avis sur les choses ?

Nous avons été conditionnés depuis notre enfance à porter une évaluation sur tout : j’aime, je n’aime pas, c’est beau, c’est moche, je me sens bien, je ne me sens pas bien… Nous n’avons donc pas l’habitude de regarder ‘ce qui est’ sans entrer dans cette évaluation.
Le problème, c’est que cette évaluation est subjective. Elle passe par les filtres de notre éducation, de notre vécu et par le phénomène de dissonance cognitive : nous ne percevons pas des éléments qui ne rentrent pas dans notre ‘structure de pensée’, qui contrarient nos croyances ou bafouent nos valeurs…
En activant notre préfrontal, nous passons à une vision objective de la situation. Le préfrontal sait que nous sommes interconnectés les uns aux autres et avec les lois de l’univers. Il capte des informations que notre cerveau automatique ne voit pas, puisque pour ce dernier, la réalité est perçue comme un ensemble de briques préfabriquées, si je peux m’autoriser cette comparaison.
Or, la vie, c’est le mouvement. Lorsqu’on se fixe sur quelque chose, le mouvement s’arrête, nous quittons le flux de la vie, nous nous rigidifions et les événements viennent alors nous bousculer, comme pour nous remettre en mouvement.
C’est ce qui se passe pour beaucoup de personnes qui refusent le mouvement, restent en mode automatique et subissent la vie, les situations, les autres, avec le sentiment d’être victime de tout et de ne plus pouvoir diriger leur vie.
La lucidité dans ce cas, c’est prendre conscience de notre propre rigidité, prendre du recul pour avoir une vue plus objective de la situation et laisser venir la solution avec l’aide de l’intuition…
On pourrait comparer ce processus avec le hamster qui tourne dans sa cage. La pensée, le mental, c’est un peu la même chose lorsque l’on subit une situation. Or, pour activer le préfrontal, nous devons soit calmer le mental, soit le faire ‘bugger’ par une surcharge d’informations pour qu’il passe la main au préfrontal…
Paradoxalement, la décision – ou plutôt la bonne décision – n’est pas le fruit de l’évaluation du mental, mais l’évidence qui arrive à partir du ressenti corporel. Ce ressenti corporel est directement lié à l’intuition, en lien avec le cerveau préfrontal, siège de cette intuition. Il s’agit alors de se libérer des doutes sur la réussite ou l’échec d’un projet et de se libérer des pensées qui tournent en rond au moment de prendre la décision – pour faire la place au ressenti corporel, notre meilleur guide…

Qu’entends-tu par mental ?

Le mental, c’est la pensée, c’est les noms que l’on met sur ce qui est, des étiquettes sur des choses, des sentiments, des comportements… C’est un peu le bras armé de notre inconscient puisqu’il réagit en fonction des apprentissages et des conditionnements que nous avons reçus. C’est à la base un excellent serviteur dans ce monde, qui nous permet de calculer, planifier, organiser, communiquer, etc…
Si les conditionnements nous limitent, le mental ne cherche pas à les dépasser – ce sont les structures de briques préfabriquées que j’évoquais précédemment. Seul le préfrontal, qui reconstitue la réalité en temps réel et se connecte à la créativité et l’intuition, est capable d’apporter de nouvelles solutions et de favoriser la décision qui nous fait avancer dans la bonne direction.
C’est toute la différence entre, d’une part appliquer mécaniquement ce que l’on a appris – le savoir – et d’autre part, utiliser la connaissance dont nous nous sommes enrichis après avoir intégré le savoir avec l’expérience. L’intuition se sert de la connaissance en toile de fond pour nous apporter les bonnes solutions.

Donc, si être lucide c’est activer son préfrontal, comment fait-on pour l’activer ? Toutes les approches de développement personnel proposent à tel ou tel niveau des méthodes pour prendre du recul sur soi et donc, si j’ai bien compris, activer le préfrontal. Que pourrais-tu proposer à nos lecteurs comme petit exercice ?

Les neurosciences nous montrent que le préfrontal s’active à partir du moment où la personne se pose les bonnes questions, des questions qui bousculent le mental, qui lui sont inhabituelles et qui vont permettre d’être curieux, d’accepter ce qui est, de nuancer, d’adopter un point de vue différent, de sortir des œillères et d’avoir une vision plus large de la situation pour affirmer sa décision quels que soient les regards des autres… ce sont les fameuses ‘6 dimensions’ de la préfrontalisation.
Bien souvent, ce qui nous empêche d’avoir du recul c’est que nous accordons trop d’importance à quelque chose, nous sommes totalement focus sur une situation ou un élément de la situation et n’avons plus conscience du champ des possibilités qui nous sont offertes.
Dans une telle situation, voici un petit exercice simple : très souvent, nous sommes déconnectés de l’effet que les événements du quotidien ont sur nous… nous pouvons alors activer le préfrontal en revenant à notre corps, à notre propre sensorialité, à notre vécu.
Revenir simplement à soi-même, c’est être présents à ce qui se passe dans notre corps, présents à ce que nous nous ressentons, sans juger, en étant simplement observateurs de l’évolution de cette sensation et sans essayer de modifier l’expérience…
Avec ce processus, nous sortons de l’émotion en 2 ou 3 minutes, voire moins avec l’expérience ! Nous pouvons aussi, lorsque c’est nécessaire et en poussant le processus quelques dizaines de minutes, nettoyer durablement le traumatisme qui provoquait jusqu’à présent ces émotions dès que nous étions confrontés à une situation en lien avec le trauma…
Ce processus est une belle porte pour être plus lucide sur nous-mêmes et ce, puisque nous nous débarrassons durablement des filtres opacifiants que génèrent les émotions…

Olivier Masselot  http://www.neuroquantis.com