Qu’est ce que la lucidité pour un sportif?

Pour moi, une personne lucide est avant tout lucide sur elle même : ses forces, ses faiblesses, son objectif, la manière d’atteindre son objectif, l’énergie qu’elle veut y consacrer. Elle l’est tout autant sur son environnement : le parcours, les menaces, les opportunités, la neige, la météo, les adversaires, le contexte, les enjeux… Sa stratégie est claire et réalisable. Cette personne reste fidèle à sa stratégie tout en étant à l’écoute de la conjoncture.

As tu déjà manqué de lucidité?

Très souvent, surtout au début de ma carrière sportive. Au début, j’étais audacieux et déterminé. Au fil des années, mon expérience m’a conduit vers plus de prudence et de maîtrise, car j’étais davantage lucide. Au fil des années, plus j’avançais, plus stables étaient mes repères, plus fiables étaient mes prises de décisions.

Mon plus grand manque de lucidité a été lors des JO de Vancouver en 2010. J’avais 26 ans. Sur le premier virage, alors que je ne me croyais pas stressé, je n’ai pas réussi à baisser suffisamment mon centre de gravité pour fournir un virage performant. En d’autres termes, ma boule au ventre (ou mon stress) a coupé la connexion entre mon cerveau et mes jambes. Je n’ai donc pas su les plier suffisamment. Lorsque l’information proprioceptive est remontée de mes pieds à ma tête, cette sensation était tellement inhabituelle que je croyais que ma planche était cassée. Du coup, j’ai passé la totalité de ma descente sur la défensive, à avoir peur de faire des erreurs, au lieu d’attaquer et de rechercher le plaisir de la glisse. Le stress a alors totalement altéré ma vison de la réalité. J’ai terminé 25ème, un énorme échec pour moi.

Ce manque de lucidité est dû à deux fautes majeures lors de ma préparation. Tout d’abord je n’ai pas été capable d’identifier la première de mes peurs : la peur de perdre mon statut de médaillé olympique. J’étais en effet le seul médaillé du snowboard français lors des Jeux de Turin en 2006. Cette peur renvoie à ma peur de ne plus exister, la peur de mourir de manière symbolique. Lorsque cette peur est venue à moi le jour J, je n’ai pas su l’identifier, et encore moins la maîtriser.

De plus, je savais que je serais stressé le jour de la course. Au lieu de mettre en place des stratégies psychologique, physiologique et comportementale, j’ai plutôt décidé de nier cet état de tensions. L’effet boomerang a été extrêmement violent !

Ce jour là, le stress que j’avais essayé de ne pas voir a totalement pris le contrôle sur ma perception de la réalité. Je n’ai jamais autant manqué de lucidité de ma vie. Aujourd’hui, je suis convaincu que refouler ses émotions (ou les nier) n’est qu’une fuite en avant, pas une stratégie !

Comment fais tu pour garder l’esprit clair dans les moments difficiles ?

Il y a différents chemins pour rester maître de moi-même face à l’adversité. Ils sont d’ailleurs tous liés. Tout d’abord, j’aime voir l’opportunité avant la menace. C’est ainsi que je pose mon intention. En quoi cette situation représente-t-elle un défi pour moi ? J’aime les défis et j’ai toujours aimé mettre du sens derrière mes objectifs.

Comme il y a de l’enjeu, il y a du stress. A moi de faire de ce stress un moteur plutôt qu’un frein ! À chaque fois que je sens cette fameuse boule au ventre se mettre en place, je me concentre d’abord sur ma respiration. J’inspire 5 secondes par le nez, expire 5 secondes par la bouche en me tenant droit. Tout en continuant à respirer de la sorte, je me concentre ensuite sur mes tensions corporelles. Je les sens évoluer dans mon corps, et je les sens peu à peu disparaître. Nous sommes alors dans l’approche physiologique, puisque j’élimine de la sorte une quantité non négligeable de cortisol, l’hormone du stress. Je suis en même temps dans l’approche psychologique, puisque cela me permet d’éliminer mes pensées parasites. Je ne suis qu’avec moi même. Il n’y a plus d’enjeu, plus de pression. Seulement mon moi, en accord avec mon corps. 5 minutes plus tard, en ré ouvrant les yeux, mes pensées parasites ont disparu. Mon esprit est serein. Mon objectif prioritaire est clair. Je sais ce que j’ai à faire car lors de ma préparation, j’ai bien anticipé les problèmes que je risque de rencontrer sur la course. Je les connais par cœur. Je me fais confiance. Mes yeux sont maintenant grand ouverts. Je suis en osmose avec mon environnement. Le starter crie « Riders ready, five seconds ready??? GO ! ».

Je suis dans la course. Je connais précisément tous les endroits les plus stratégiques de ma course : je sais où il faut être, et où ne surtout pas être. Je connais mes adversaires. Je suis maître de ma planche, de mon parcours, de moi-même. Je sais que l’impensable peut arriver. Dans tous les cas, je réagirai blanc ou noir. C’est MON approche comportementale : je ne connais pas le gris. Ma thérapie par le ouf : chaque comportement est déterminé. Je fais les choses à 200%. Je suis là ici et maintenant, en train de donner le meilleur de moi-même, de jouer, de prendre du plaisir, de vivre mon rêve de gosse : je suis en train de devenir médaillé olympique.

Dans ta conférence tu parles de dépasser ses peurs pour être soi-même, que veux dire pour toi « être soi-même » ?

Si je veux être libre, je ne dois pas être prisonnier de mes peurs.

Dans notre quotidien, nous sommes tous confrontés à nos peurs : la peur de dire je t’aime, la peur de dire oui à un projet osé, la peur de dire non à telle opportunité, la peur d’être rejeté… La plupart des gens qui m’entourent ne réalisent pas leurs rêves principalement à cause de leurs peurs. En fait, parce que je suis compétiteur dans l’âme, chacune de mes peurs à dépasser est un défi à réaliser. Ne pas oser les défier, c’est pour moi accepter l’emprisonnement : les peurs nous font perdre en liberté d’agir. Elles nous empêchent d’avancer, de nous épanouir, d’aimer.

 

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