Un texte du Talmud

[1] affirme que « Celui qui néglige l’honneur [qu’il devrait donner] à son Créateur, il aurait mieux valu pour lui ne pas venir au monde ».

Le mot hébreu qui est traduit en général par « honneur », est une déclinaison du mot qui exprime le « poids » ; on pourrait donc traduire cette phrase par l’expression française proche de l’hébreu « donner du poids » c’est-à-dire de l’importance, de la place dans sa vie.

Ce texte est commenté par Maïmonide[2] de la manière suivante :
« L’expression « celui qui néglige de donner du poids à son Créateur » est à comprendre dans le sens de « celui qui néglige de donner du poids et de la considération à son intellect ! », car oui, l’intellect est [en l’homme] ce qui fait honneur à Dieu ; et celui qui n’en mesure pas la portée sera aux prises avec ses désirs, et se réduira à son animalité. Et [les Sages de la tradition] l’expriment à propos de celui qui faute en cachette. »

Maïmonide renvoie à une idée traitée par ailleurs dans le Talmud, qui voit, dans celui qui se fourvoie en cachette, une perversion de l’homme face à son intégrité. En effet, s’il se cache du regard des hommes, c’est qu’il récuse l’idée qu’il est aussi soumis à celui de Dieu. Or, si l’on suit Maïmonide et sa lecture proprement antidogmatique, l’homme récuse en réalité l’importance de son propre regard sur lui-même ! Voilà donc un homme qui joue à cache-cache avec lui-même, en d’autres termes, un homme étranger à lui-même. Dès lors, « il aurait mieux valu pour lui de ne pas être créé », une manière provocatrice typiquement talmudique de dire qu’en étant étrangère à elle-même, cette personne n’existe pas ! Notre force d’existence serait donc proportionnelle à notre capacité à être en phase avec nous-même.

L’intelligence, la lucidité, et l’éthique qui en découlent sont des caractéristiques fondamentalement existentielles de l’homme. Et celles-ci apparaissent négligées quand l’homme, faisant l’impasse sur son éthique en fautant en cachette, reste soucieux du “qu’en dira-t-on“, mais pas de son « être », c’est-à-dire de son intégrité. En public, exit les attitudes ou pratiques immorales, alors qu’elles sont tolérées dans l’intimité personnelle, voire entre adultes consentants acceptant les mêmes règles du jeu.

L’enseignement est donc le suivant : L’équilibre personnel existentiel consiste à réduire au maximum le delta qui existe en l’homme entre sa pensée et son action. Et la lucidité est avant tout une affaire entre soi et soi-même.

Les conséquences de cet enseignement apparaissent fondamentales en matière de leadership, dans la mesure où, au-delà des techniques de communication, le rayonnement d’un manager auprès de son équipe sera toujours proportionnel à la relation d’intégrité que ce dernier entretiendra avec lui-même.

Pour forcer le trait, un leader en guerre contre lui-même emportera peu de suffrages, alors que celui qui aura à cœur de vivre pleinement son éthique, nécessairement dictée par son intellect, c’est-à-dire par une forme de clairvoyance sur ses propres émotions et pulsions, sera en paix avec lui-même et rayonnera, emportant l’adhésion de son public quant à sa place de leader.

Joël Benhamou

yechiva

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[1] Œuvre monumentale rédigée du Ier au VIème  siècle consignant un ensemble d’enseignements jusqu’alors oraux, sur tous les domaines que couvre la tradition juive.

[2] Un des plus grands maîtres du judaïsme ayant vécu au XIIème  siècle, auteur prolifique d’ouvrages unanimement reconnus dans les domaines législatif, philosophique, médical et psychologique