Intro

J’ai pu remarquer que les leaders pouvaient faire des erreurs de lucidité. Arrivée à la tête de JC Penney, Ron Johnson fait s’écrouler les ventes des 30% par manque de prudence. Il lui en coûtera sa place. Des exemples comme celui-ci déferlent et pourtant ces situations se reproduisent. Et oui, car le leader se retrouvent facilement isolé. C’est notamment ce qui accroît les difficultés face aux prises de décisions. Pourtant les solutions existent pour préserver sa lucidité. Le principal point noir des leaders d’aujourd’hui sont les « angles morts ». Ces derniers sont largement assujettis à de mauvais jugements de la situation.

Comment un leader peut se tromper de temps en temps ?

Nous sommes tous soumis à une masse d’informations lors d’une prise de décision. C’est ce qui rend la tâche particulièrement difficile. Ce qui est moins bien accepté et reconnu, c’est que nous sommes sujets à des biais dans la façon dont nous recueillons l’information. C’est ce qui crée les angles morts. Or dans une position de leader, le risque d’angles morts est décuplé.

Tout d’abord le leader s’appuie essentiellement sur des informations de seconde main du fait de la succession d’intervenants à différents niveaux hiérarchiques. Cela permet d’éviter au leader d’être submergé d’informations inutiles mais peut aussi dans bien des cas le conduire à perdre le contact direct avec les clients et les salariés. Par exemple, il n’est généralement pas remonté aux leaders toutes les frustrations ressenties chez les clients, tout ce qui paraît anecdotique et non étayé par des chiffres ni ce qui semble peu glorieux. Ce processus de filtrage finit par donner au leader une vision du marché plus optimiste que de raison. C’est ainsi que plus ou moins insidieusement, le risque d’aveuglement aux évolutions subtiles du marché augmente.

Ensuite, ce qui fait s’accroître le risque d’angle mort est directement lié à la complexité et à la taille des organisations. Le leader a clairement besoin de s’en remettre à ses équipes. Mais cette même confiance qui permet à l’entreprise de fonctionner peut aussi accentuer le risque d’aveuglement. « la baleine de Londres » illustre très bien cette idée. En mars 2012, un trader star fait perdre 6 milliards de dollars à la banque JP Morgan Chase. Son dirigeant Jamie Dimon aurait pu s’alerter de la situation. Les signaux étaient là. Malheureusement, il n’a pas su entendre certaines préoccupations formulées en interne sur le niveau de transparence des prises de risque. Et il s’est reposé sur sa directrice des investissements ainsi que sur les processus de gestion des risques en vigueur. C’est ainsi qu’insidieusement, sa confiance en ses proches collaborateurs et en son organisation a créé un angle mort, en l’empêchant d’interpréter correctement la gravité potentielle de la dérive.

Enfin, le troisième phénomène qui fait décupler le risque d’angle mort concerne la difficulté d’obtenir des feedbacks honnêtes. C’est le lot de toute bonne organisation hiérarchique et de son armée de cadres. Cela prive le leader de certaines alertes. Wang Laboratories a ainsi perdu son leadership sur le marché des ordinateurs. En cause notamment l’incapacité du fondateur à reconnaître objectivement les avancées d’IBM. Inversement, le directeur de la recherche d’un laboratoire pharmaceutique a su réagir lorsqu’il a détecté son implication émotionnelle due au conflit devenu une affaire personnelle avec l’agence de régulation. Il a alors décidé de déléguer les négociations. Tous les leaders aimeraient avoir cette prise de recul, ce qui est extrêmement difficile à faire seul, a fortiori quand les enjeux sont élevés.

Alors comment aider les leaders à lutter contre leurs risques d’angles morts ? Quels conseils peut-on leur donner ?

Tout d’abord, le leader doit rester en prise directe avec le terrain. Le fait de s’adresser directement à des clients ou à des salariés est une très bonne pratique à mettre en place et à ritualiser. C’est la meilleure façon de conserver une vision fine des dérives insidieuses ou des changements subtiles en cours. « Un bureau est un endroit dangereux d’où voir le monde » est d’ailleurs affichée à l’étage de la direction de Caterpillar pour alerter les leaders de ce fléau.

Pour réussir à rester en prise directe avec le terrain, plusieurs possibilités s’offrent à lui. Il peut instaurer des routines et aller régulièrement à la rencontre de ses équipes. Par exemple, le dirigeant Terry Lundgren à la tête de la chaîne de magasins américains Macy’s s’astreint à visiter un magasin par semaine. Ensuite le leader doit saisir les opportunités de collecter en direct, sans filtrage des analystes ou de la chaîne hiérarchique. C’est le cas notamment de la prise de poste. Chip Bergh, dirigeant de Levi Strauss & Co a mis en place des rencontres avec les 65 principaux cadres du groupe pour faire émerger la diversité des points de vue. Le départ des collaborateurs est également une formidable occasion de recueillir des propos sans tabous internes. Autre possibilité pratiquée par Andrew Gould, le dirigeant de Schlumberger lors de projets phares est de contacter directement les responsables dans les pays. Enfin, le leader doit s’appuyer sur la technologie. Le fait de définir des seuils sur de multiples indicateurs de performance permet au leader d’examiner de plus près la situation. Cependant il doit rester vigilent sur la pertinence des indicateurs et la mise à jour de leur seuil. Certains leaders comme Lee Scott, dirigeant de Wallmart ont recours aux outils de conversion en ligne ou de veille des réseaux sociaux. Cela permet d’obtenir des remontées sur les préoccupations des collaborateurs de première ligne. D’autres utilisent les solutions d’analyse des réseaux sociaux.

Pour survivre face à l’adversité, le leader doit aussi apprendre à bousculer régulièrement ses convictions. Andy Gove, dirigeant d’Intel souligne le fait que les leaders sont toujours sur le fils du rasoir entre le besoin d’assertivité et celui de remise en cause. Trois possibilités s’offrent à eux pour rester lucide face à des convictions trop fortes. Le fait de cultiver leur curiosité est l’un des meilleurs remparts. Steve Jobs choisissait chaque année un thème à explorer pour s’exposer à une diversité de points de vue. Samsung envoie ses jeunes leaders en congé sabbatique. Certains donnent à leurs proches collaborateurs deux ou trois livres à lire pour les faire réfléchir à ce que cela leur inspire pour l’avenir de l’entreprise. Il s’agit à chaque fois de se forcer malgré la pression à conserver du temps pour prendre du recul et interroger sa façon de voir les choses. Il faut aussi apprendre à écouter sans tricher. Face à la diversité des points de vue, le leader doit tirer des enseignements. Or nous avons plutôt tendance à retenir celles qui confortent nos convictions et à ignorer celles qui les contredisent sans même en être conscient. De plus, la position du leader fait d’autant plus taire ou s’atténuer les points de vue divergents de son entourage. Les leaders les plus avisés cherchent à inverser ce phénomène afin de lutter contre le risque de conformisme de groupe. En effet, à ce niveau-là, il n’y a rien de plus terrible que l’arrogance. Par ailleurs le leader doit développer l’art de conjuguer confiance et doute raisonnable. Le biais de la confiance en soi est de s’attribuer le plein mérite des réussites obtenues. Il est donc important en tant que leader de s’imposer un temps de retenue avant toute prise de décision. Il est d’ailleurs conseillé d’en faire de même quant à la confiance accordée à ses proches collaborateurs qui peuvent eux aussi être victimes de biais de perception ou affecté par des événements de la vie. Il s’agit de toute évidence de détecter les possibles risques d’angles morts collectifs.

Savoir s’entourer

Être leader, c’est accepter d’être seul face à la décision finale et ses conséquences en terme de responsabilité. On comprendra l’importance de sélectionner un entourage de qualité tant pour ses compétences que pour discerner et réduire les angles morts.

Un leader peut faire appel à un mentor ou à un coach. Mais étant donné la complexité de sa fonction, il pourra recourir à bien d’autres conseillers que ce soit simplement pour prendre du recul, gérer sa carrière ou la gestion de crise. Jack Welch a même osé un conseillé de 25 ans son cadet pour mieux comprendre la montée de l’Internet. On peut donc être à la fois très sûr de soi et lucide sur ses limites.

Il est également primordial de s’entourer de collaborateurs à même de nous contredire. Le leader n’est pas à l’abri du risque d’aveuglement au quotidien. Cela peut d’ailleurs aller jusqu’à l’arrogance. Steeve Jobs aurait pu en faire les frais en ignorant les mises en garde de son équipe quant au développement de disque du Macintosh. Mais le plus amusant dans l’histoire, c’est que l’équipe lui a finalement désobéi. Cet homme avait su s’entourer de collaborateurs brillants et dotés d’une forte volonté, capables de le contredire tout en lui restant fidèles.

Enfin se confronter aux plus jeunes, à ceux qui représentent l’avenir du management est également une bonne piste. C’est une pratique que certains dirigeants ont mis en place par la rencontre de chaque recrue à haut potentiel 3 à 4 mois après son arrivée dans l’entreprise. D’autres développent des « comités de direction fantômes » pour garder les yeux ouverts sur les dynamiques en cours dans l’entreprise.

Conclusion

Un bon leader sait finalement garder la tête sur les épaules et gérer ses angles morts. D’ailleurs, chacun peut développer ses propres routines-réflexes et appliquer ces conseils à son niveau.